Armand Legay

blog d'humeur et de réfléxion

Armand Legay

L’après covid 19 : l’Economie Symbiotique ou nouveau paradigme industriel et respect du Vivant. (adjonction au texte du colloque de novembre 2017 Libreville Gabon)

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Quand on parle de développement de la biomasse, il s’agit en premier lieu de développement durable dans sa définition en science écologique et économique. La situation climatique (et la pandémie du covid 19 qui y est liée) sont telles sur la planète que les dernières forêts et zones naturelles endémiques de la biosphère, sont et pourraient être un exemple de sauvegarde pour un nouveau paradigme éco rural, d’agroforesterie et de nouvelle économie industrielle planétaire respectueuse pour la biosphère. Soit faire un retour équivalent aux cinq règnes[1] du vivant de ce que nous leurs exploitons. En zones urbaines des exemples existent aussi à travers le monde nous guidant vers cette économie symbiotique.

En ce sens, un ensemble d’expertises scientifiques coopèrerait : sciences sociales, économiques, urbaines, biologiques, chimiques, médicales, industrielles, agronomiques, géographiques, informatiques (des systèmes,  de l’artificiel) etc…

L’hypothèse générale serait de travailler à une nouvelle coopération scientifique vers une « économie symbiotique » comme l’est, plus ou moins, la coopération des règnes de la biomasse. Cette économie, respectueuse du vivant est peut-être la dernière chance pour l’humanité. Sans le règne végétal nous n’existerions pas.

Nous irions alors vers une expertise pluridisciplinaire axant la recherche sur l’absolue nécessité de préserver l’environnement en exploitant la biomasse autrement, en lui rendant autant que ce qu’elle nous donne. L’expertise se ferait sur tout ce qui se rapporte aux besoins de l’homme et aux besoins des autres règnes du vivant ainsi que celui des animaux dont nous faisons partie. Il s’agirait de travailler à une relation « donnant-donnant » entre ces cinq règnes. Autres que les ressources minérales, les exemples sont nombreux : agro foresterie, élevage, permaculture, énergies, industries et matériaux de construction, cosmétologie, chimie végétale, développements dans le respect des biocénoses de la biomasse, etc…

C’est ce que doit permettre cette nouvelle voie pour l’ingénierie rurale, agro, urbaine et industrielle et exploitation de la biomasse plutôt que d’extraire de la croûte terrestre toutes nos énergies fossiles non renouvelables.

Qu’est-ce que la biomasse ?

En écologie

La biomasse se réfère à la masse totale des organismes vivants présents à un moment donné dans un biotope particulier, terre ou mer. L’homme en fait partie. Il représente 0,1% massique de celle-ci. La communauté d’espèces animales ou végétales en équilibre dynamique plus ou moins stable dans un territoire défini, ayant la plus forte biomasse possible est fonction d’un climat approprié. Souvent, elle est estimée en unité de surface ou de volume plutôt qu’en masse absolue : « La biomasse comprend tous les organismes vivants ainsi que les produits de déchets organiques. La densité de biomasse représente la quantité de biomasse sèche par unité de surface. Pour les continents la densité moyenne est de 10-12 kg/m2. La plus grande partie de cette biomasse est constituée de phytomasse, la partie non végétale ne représentant que 1%. La photosynthèse est l’agent principal pour la production de biomasse. L’énergie lumineuse est utilisée par les végétaux pour produire des composés organiques riches en énergie. Plus de 200 milliards de tonnes de gaz carbonique sont convertis en biomasse par an. L’océan contient une biomasse importante : le plancton. Le microscopique plancton végétal, le phytoplancton, produit autant de nourriture par photosynthèse à partir d’éléments minéraux grâce à la lumière solaire que tous les végétaux terrestres. La masse du phytoplancton mondial est pourtant 500 fois moindre, mais il se renouvelle complètement en quelques jours, alors qu’une plante vit en moyenne dix ans. Plus de 90% de la biomasse océanique est composée de microorganismes. Surface totale de la Terre : 510 000 000 km2. Surface des terres émergées (29%):148 000 000 km2. Surface des mers (71%): 362 000 000 km2 »[2].

Dans le domaine des énergies

La biomasse appliquée aux énergies est plutôt celle qui correspond à la totalité des masses de matières organiques d’origine vivante à visée énergétique, comme le bois-énergie par exemple. Cette masse vivante est aussi considérée du point de vue de l’énergie que l’on peut en obtenir par combustion ou fermentation (gaz de broussaille, gaz de fumier, gaz de bois, biocarburants). Des filières industrielles nouvelles se développent rapidement (agrocarburants, granulés de bois, méthanisation industrielle), générant des tensions sur certaines ressources, avec de nouveaux risques de surexploitation  et/ou de substitution de cultures vivrières par des cultures énergétiques. En 2014 selon l’AIE la biomasse pouvait fournir 90,2 GW (gigawatt) d’énergie (10 % environ de l’énergie primaire consommée dans le monde) et elle fournissait 370 TWh (térawatt heure) d’électricité (en 2012, soit environ 1,5 % de toute l’électricité) et 4 % environ des carburants routiers.

Exemple d’agro-carburants

Pour mieux expliquer l’utilisation de la biomasse, l’exemple du développement des agro carburants, en particulier sur l’alcool carburant ou bio éthanol est probant. L’homme l’a produit et l’a transformé en un produit cultuel puis culturel.

Cette technique ancestrale thermodynamique de l’alambic (IVe Millénaire av. J.C. pour le parfum) devient l’art distillatoire. De façon télescopique, c’est une sorte d’emboîtements ou techniques affluentes[3] selon Bertrand Gille menant à la distillation, au raffinage du pétrole et pour le futur proche au raffinage de la biomasse.

Avant un hypothétique bouquet énergétique pour 2050, après le pic du pétrole, avec les biocarburants et le bioéthanol, l’industrie lourde se perdure dans la tradition industrielle avant une rupture énergétique.

D’ailleurs, un accord de coopération commercial a été signé le 9 mars 2007 entre les Etats-Unis et le Brésil. Cet accord est en fait la première pierre au grand marché mondial de cette matière première qu’est le bioéthanol, tout en sachant que la Chine en est le troisième producteur mondial et qu’elle a le grand projet de faire fonctionner son parc automobile avec une mixité importante d’alcool.

S’ouvre donc depuis cette date au niveau international une mutation énergétique et par conséquent économique dans ce nouvel eldorado, paradigme ou terrain d’essai qu’est la biomasse de la planète.

Les trois grands axes de l’exploitation de la biomasse

1) Les bioénergies avec les carburants de première génération sans utiliser la plante entière (fermentation des sucres, huiles) et deuxième génération où le végétal est utilisé complètement pour la production non seulement de biocarburants, mais aussi de chaleur et d’électricité. La troisième génération utilise des algues marines pour la capture du CO2. Il y a aussi la voie alothermique (4500°) nécessitant de l’énergie électrique.

2) Les biomatériaux pour la fabrication de bioplastiques 100 % dégradables à partir d’alcools et de glycol pour remplacer ceux issus du pétrole, mais aussi autant de matériaux provenant de la biomasse dans la construction de bâtiments (fibres et bois)

3) La chimie dont la matière première, le pétrole, peut être remplacé avantageusement par les végétaux et l’alcool pour la chimie de synthèse (médicaments), pour des productions industrielles par exemple le caoutchouc (pneus) et des tensioactifs comme les savons ou produits de beauté, ainsi que la fabrication de lubrifiants et de solvants.

Depuis 2002, dans tous les pays à partir de la recherche faite par nombre d’universités et de laboratoires privés sur la fermentation et l’utilisation de la biomasse, des sociétés privées, des compagnies pétrolières, de grands groupes coopérateurs investissent dans ce nouveau paradigme industriel. En France, on assiste à une accélération d’investissements dans ces trois axes.

Projet Biocoup

Un projet européen baptisé BIOCOUP (co‑traitement de bio‑liquides dans des unités conventionnelles de raffinage pétrolier) a été lancé en mai 2006. Il a des ambitions plus larges puisqu’il a pour objet de développer un procédé industriel permettant d’intégrer de la biomasse liquide directement dans les raffineries traditionnelles de pétrole pour produire des carburants contenant une part de biomasse. Au lieu de mélanger les biocarburants aux carburants traditionnels en sortie de raffineries, la biomasse serait intégrée en amont.[4] Ce projet pourrait, s’il était adopté réduire à néant toutes les ambitions de développement de filières distinctes et indépendantes en bio énergies et autres productions issues de la biomasse. [5]

L’alcool carburant en France.

Entre 1950 et 1990, notre pays avait une avance européenne dans l’alcool carburant qu’elle a perdue ensuite au profit de l’Allemagne et de l’Espagne. L’abandon de la production d’alcool et de la chimie de l’alcool provient de divers décrets gouvernementaux après la guerre de 39-45 au profit de la pétrochimie et du nucléaire. En même temps, le parc nucléaire est projeté quand politiquement les filières alcool et biocarburant, pétrole, et énergie atomique auraient pu se développer distinctement ; ce que nous faisons tardivement aujourd’hui.

Dans ce paradigme qui est en place, des risques existent. Ce rationalisme et cette hyperspécialisation issu du machinisme du XIXe siècle et du technicisme actuel peuvent-ils exploiter cette biomasse en respectant ce vivant ? L’homme dans ce rationalisme a-t-il la capacité scientifique, technique et philosophique de respecter cette nature qui lui a donné la vie ou va-t-il par esprit de puissance et de cupidité issu de ce rationalisme se prendre pour un surhomme ?

Des enjeux mondiaux et luttes d’intérêt existent pour la préservation des intérêts, soit financiers, collectifs ou d’économie mixte. De plus, des risques semblent être sous-estimés, en l’occurrence les conséquences des mutations économiques sur les structures sociales, urbanistiques et la biomasse dont nous faisons partie. Est-ce que d’autres risques de conflits sociaux à l’échelle des régions, des pays et de la planète avec des conflits guerriers peuvent voir le jour si les populations ne sont pas informées, cultivées, de ce paradigme avec participation démocratique aussi bien dans les pays riches que pauvres ?

Modifications d’ici à 2050

L’étude « démarche, prospective et transports pour 2050», faite en mars 2006 par le Conseil Général des Ponts et chaussées de l’Etat français donne quatre scénarios énergétiques pour 2050. Si l’on ne peut prévoir quel sera notre niveau de vie pour 2050 en Europe, la complexité de ces quatre scénarios peut laisser entrevoir au moins quelques schémas, soit :

1) De  technologies énergétiques très performantes.

2) De repli et de déclin avec faible croissance de l’économie et des revenus.

3) De développement des échanges et de la richesse.

4) De coût élevé de l’énergie et d’intégration régionale et de crise  économique ou énergétique,

Selon ces scénarios, il peut y avoir perte de liberté.

Des risques

Cette perte de liberté est-elle alors compensée par la production déjà actuelle d’objets techniques biodégradables et d’outils informatiques générant de nouvelles libertés ou bien assistons-nous à un capitalisme numérique contraignant toutes libertés ? Un autre risque se retrouve dans la chasse aux hectares de forêts et de plantes végétales pouvant être converties en carburants liquides. Déjà, l’appât du gain étant le plus fort, des investissements se font au détriment des plantes nourricières.

La nécessité pour les pétroliers et l’agro-industrie est d’avoir de grandes étendues cultivables. Un pays comme le Brésil peut encore satisfaire à cela où il est possible d’exproprier de nombreuses terres avec des risques pour les populations agricoles sans terre et la forêt amazonienne.

Cette situation liée au droit foncier dans les pays en émergence peut engendrer, provoquer des risques de conflits qui s’accumuleront avec encore plus de malnutrition, si des mesures en sciences et techniques, mais aussi en politique de gestion des sols sur les biocarburants et sur les biotechnologies, ne sont pas prises, sans oublier l’incidence du changement climatique sur la végétation et les continents.

Un autre risque est que cette économie globale des biocarburants ne formule, comme l’économie de traite, une surexploitation de la main d’œuvre des pays pauvres pour alimenter les pays riches en carburants.

Si dans ce paradigme[6] scientifique et technique des espoirs sont possibles, les rationalismes qui y œuvrent sont autant ceux que l’on retrouve dans le technicisme et le système de production d’aujourd’hui et d’hier. Ceux-ci, matérialistes ou cultuels, peuvent mener à des extrêmes, donc à l’irrationalisme comme l’a défini Max Weber et qui a conduit, et conduit toujours, à des formes de gouvernements extrêmement dirigistes.

Une autre forme d’entrepreneuriat

Pareil à une hybridation biochimique toujours aléatoire, avec la mise en place effective des quatre pôles du développement « soutenable, renouvelable, et viable », pour l’homme et toutes les espèces vivantes, l’entreprise, unité de production de biens ou de services ne pourra plus être uniquement au service de la rémunération du capital financier, mais aussi au service d’un capital autrement plus important pour la survie de la biosphère, la biomasse dont nous faisons partie.

Une autre rationalité venant d’une technologie politique respectueuse du vivant se mettrait en place. En effet, la technique influence les comportements humains pour son utilisation et son entretien, souvent de façon inconsciente. Elle est politique dans le sens où elle véhicule des savoirs et un symbolisme modifiant constamment notre mode de vie et la structure de nos sociétés.

Ces changements sont alors provoqués par la modification des rapports de production dus à cette reproduction énergétique, du tout pétrole vers le bouquet énergétique de ce nouveau paradigme. Pour que des risques et conflits de toutes natures provoqués par ce changement structurel n’empêchent pas de rendre caduques des perspectives, les aspects collectifs de débats contradictoires favorisant la réflexion doivent être poursuivis pour le futur. Les populations, les chercheurs, l’expertise scientifique, les sciences sociales et physiques ont là, toute leur place pour accompagner cette accélération et modification énergétique non linéaire.

La recherche, les contenus et savoirs, à condition que les décideurs et politiques y souscrivent, ont une place prépondérante dans cette construction d’une technologie et biotechnologie politique. Accompagnant cette mutation pourraient survenir de nouveaux comportements individuels et responsables venant du monde profane, donnant naissance à des sujets croyants, cherchants, connaissants et sachants.

Un printemps pour la recherche et l’intervention sociale pourrait-il alors survenir ? En ce sens des interventions contradictoires du plus grand nombre dans les principes de développement durable pourraient être bénéfiques pour le futur.

Le développement durable (DD) outil de gestion de la biomasse

Exprimée par la Présidente de la Commission mondiale pour l’environnement et le développement des Nations Unies dans son discours de 1987 devant cette Assemblée, Madame Gro Harlem Brundtland vise en premier les pays et les populations les plus démunis.

Plusieurs sens au concept de développement durable sont donnés. Certains parlent d’éco efficience entre environnement et entreprises au service de la collectivité, d’autres de développement raisonnable dans l’industrie et l’agro-industrie, d’autres encore de développement dans le respect du vivant. Le développement durable comporte trois colonnes selon le discours de M. Brudland, plus une autre venue se greffer sur les trois premières, la santé :

Colonnes du DD

1) Colonne environnementale :

Cette colonne vise à préserver, améliorer et valoriser les pays, les territoires choisis à partir des entités économiques existantes ou à créer. Un accent est mis sur l’environnement au sens large, allant des espaces urbains aux espaces ruraux et leurs ressources, des sources d’emplois futurs dans l’exploitation de la biomasse. Cette efficacité environnementale, rentable dans le cadre du raffinage des énergies fossiles et de la biomasse, devrait l’être dans le respect de la nature et de son écologie aussi en termes d’agriculture et d’aménagement du territoire.

2) Colonne économique :

Développement d’objectifs de croissance et d’efficacité des entités économiques du territoire ou du pays sur lequel sont prévues les actions environnementales. Cela suppose la prise en compte du développement durable à long terme par les entreprises et de son impact sur celle-ci. L’éthique des affaires est à revoir (corruption, entente, abus de position)

3) Colonne sociale :

Cette colonne vise non seulement à satisfaire les besoins humains et à répondre à des objectifs d’équité et de cohésion sociale, mais aussi, à accompagner les changements comportementaux qui sont déjà effectifs dans les économies. Ce pilier englobe notamment les questions de santé, de logement, de consommation, d’éducation, d’emploi et de culture.

4) Colonne Santé :

Cette quatrième colonne, nouvelle dans le concept du DD, mais continuant la troisième colonne, englobe la santé durable avec sept points principaux selon une étude internationale pour 2020 : La recherche d’une vision partagée, une infrastructure informatique robuste, un ajustement des systèmes d’incitation, une standardisation de la qualité et de la sécurité, une répartition stratégique des ressources, un climat d’innovation, des acteurs et des structures de soins adaptables[7].

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Ces quatre colonnes de développement durable devraient répondre à trois principes :

Les 3 principes du DD

1) Principe de solidarité : solidarité entre les peuples et les générations.

2) Principe de précaution et de responsabilité : se donner la possibilité de revenir sur des actions lorsque leurs conséquences sont aléatoires ou imprévisibles.

3) Principe de participation : associer la population aux prises de décision.

Les trois fonctions symboliques du DD

Dans ce concept de Développement Durable de la biomasse existent les trois fonctions symboliques majeures définies par Georges Dumezil parmi ses trois premières colonnes : le sacré, la guerre et la masse de producteurs dans le cadre de ses études sur les civilisations indo-européennes. En effet, selon la théorie de cet auteur par similitude on retrouve dans la colonne environnementale l’aspect mythique ou sacré, ce qui est à respecter, à vénérer. Dans celle de l’économie se situent alors la compétition, le combat, les conflits économiques et guerriers. Pour la dernière on retrouve la masse de producteurs consommateurs.

La fonction symbolique du DD se décline donc dans une éthique de protection de l’environnement où les contradictions se retrouvent dans les aspects décrits, valeurs de la nature (respect de l’environnement quasi religieux), rationalité (économie) ou encore sociales (producteurs-consommateurs). Cette forme d’exploitation de la nature devrait préserver le futur de l’humanité sur la planète. Cela, pour respecter cette biomasse comme la médecine respecte le métabolisme du corps humain.

« Tous les clignotants macroéconomiques de notre vie quotidienne sont passés à l’orange. Nous avons aujourd’hui tous une idée plus claire du changement climatique, des problèmes de santé, de précarité, d’éducation, de pollution, d’hygiène alimentaire. Nous sommes aujourd’hui à la croisée des chemins. Le développement sera ce que nous incarnons ou ne sera pas. Serons-nous capables d’entrer et d’habiter ce nouveau paradigme ? »[8]

Une troisième voie dans l’économie de la biomasse planétaire : l’économie symbiotique ou gestion symbiotique des biocénoses[9] et des sociétés humaines.

Une troisième voie est-elle possible ?  Bien des devanciers l’évoquent, Serge Moscovici, Psychologue, Edgar Morin, Sociologue et Philosophe français Philippe Roqueplo, Polytechnicien, Sociologue, et bien d’autres comme Stéphane Mancuso, Biologiste, Professeur de botanique, Jean Marie Pelt, Pharmacien, Professeur en botanique, Robert Hofrichter, Zoologue et Naturaliste, Peter Wohlleben, Ingénieur Forestier, Auteur, Isabelle Delanoy, Ingénieure agro, etc…

Cette troisième voie tiendrait compte de l’aléatoire et des formes non linéaires de la construction des structures sociales humaines et des règnes du vivant de ce nouveau paradigme qui pourrait se mettre en place. Les ressources seraient prises parmi les règnes de la biomasse qui coopèrent, communiquent et sont plus ou moins solidaires entre eux.

Il s’agirait alors d’étudier toutes les données scientifiques autant des sciences dures que des sciences humaines pour une veille permanente, un tableau de bord en temps réel des avancées scientifiques et techniques à intégrer pour le respect de vivant, une métamorphose pour une nouvelle gouvernance. Ces études et recherches s’interconnecteraient alors en permanence dans la construction de ce paradigme prenant en compte l’activité humaine et sa valeur travail pour assurer sa subsistance et dégager des intérêts financiers pour investir dans le respect du vivant, de la biomasse dont nous faisons partie. La société humaine, 0,1 % massique, serait partie prenante de l’ensemble et du respect de l’hôte qui nous donne vie, soit les 99.9 % des biocénoses de la planète, et l’on sait aujourd’hui que l’intelligence n’est pas qu’humaine. Chez les animaux des preuves existent. Aujourd’hui, les dernières recherches de naturalistes nous apportent la certitude que les plantes ont une forme de pensée. En effet : « malgré 1’absence de tout organe assimilable à un cerveau central, les plantes perçoivent leur environnement avec une sensibilité bien supérieure à celle des animaux ; elles rivalisent activement pour l’obtention des ressources limitées disponibles dans le sol et dans l’atmosphère ; elles procèdent à une évaluation précise des circonstances et elles se livrent à des analyses sophistiquées des coûts et des bénéfices de toute opération ; enfin, elles définissent et entreprennent des actions appropriées aux stimuli venus de leur milieu. Elles nous proposent ainsi des solutions nouvelles à nos problèmes dont il serait judicieux de nous inspirer, surtout à une époque ou la perception du changement et la capacité à innover ont acquis une importance fondamentale. »[10]

L’avenir n’est pas que le changement climatique, (il est autre aujourd’hui avec la pandémie du covid 19). Ce risque plus que majeur est celui qui fera prendre conscience de la nécessité d’œuvrer vers une gestion symbiotique de la biomasse et des sociétés humaines. Si l’on veut laisser à nos descendants un monde viable, il n’y a que cette solution où la cupidité financière, industrielle et hyperspécialisée ne pourra qu’être réduite et contrôlée et remplacée par la coopération ; ce que nous montre le règne végétal en phytosociologie qui coopère avec d’autres végétaux et d’autres règnes dont le règne des mycètes (champignons).

Ainsi une nouvelle ingénierie de production agricole, rurale, industrielle en symbiose avec les diverses biocénoses verrait le jour. Bien sûr existent déjà des productions de biens de consommation écologiques qui respectent les sols et la nature. Mais j’émets le vœu d’aller plus loin que cette production. Il s’agit de produire non seulement des biens pour les humains mais en même temps de nous associer et de coopérer avec le milieu naturel auquel nous prenons, pour lui donner en échange un bien pour sa préservation et son évolution. Je prendrais un exemple en Inde où la tribu Khasi, isolée dans la forêt tropicale, a appris depuis plus de 500 ans à guider et tresser les racines vivantes d’arbres pour les transformer en ponts. Ces prouesses végétales sont formées grâce à un savant tressage des racines des arbres figuiers caoutchouc (Ficus elastica), des arbres à la croissance rapide et aux racines particulièrement solides.[11]

Imitation et Mimétisme

Dans le cadre du changement climatique nous assistons depuis plus de 50 ans à des facteurs exogènes à la société qui contribuent à une modification des enjeux industriels avec une prise de conscience plus ou moins importante des valeurs écologiques de la planète ou de respect de la biosphère. Bien que les diffusions techniques prennent appui sur l’imitation de processus issus de la biomasse, celles-ci ne sont qu’accaparement productiviste sans retour. Par exemple dans différents domaines telle l’exposition qui a eu lieu au musée des Arts et Métiers en 2010 et qui montrait différentes imitations issues de la nature[12] :

Ø La célèbre bande Velcro doit sa structure originale à la bardane, plante champêtre dont les fleurs sont munies de « crochets ».

Ø La structure métallique de la tour Eiffel présente de nombreuses similitudes avec celle du fémur, capable de supporter de lourdes charges.

Ø La montre-réveil Cricket, munie d’une alarme dont le fonctionnement n’est pas sans rappeler la manière dont les grillons émettent leur chant.

Ø La combinaison des pilotes de chasse Libelle G-Plus qui s’inspire du système sanguin ouvert de la libellule.

Ø Le Shinkansen, train à grande vitesse japonais, dont le profil des motrices est identique au bec des martins-pêcheurs.

Ø Etc.

Mais cette bio-inspiration ne doit pas aller que dans le sens biocénoses → sociétés humaines, ce qui est de fait dans la logique d’«exploitation » capitaliste ou productiviste de nos sociétés. Elle doit travailler dans les deux sens : l’apport que nous fait la biomasse doit être compensé par l’équivalent pour sa préservation car sans elle nous n’existerions pas. Vérité que nous avons oubliée (depuis le néolithique ?) et qui ne nous saute même plus aux yeux dans ce consumérisme où nous vivons.

Pourtant Léonard de Vinci, au 16éme siècle, disait déjà «Va prendre tes leçons dans la nature, c’est là qu’est notre futur. »

Il en va autrement dans le cadre du mimétisme qui est la « propriété que possèdent certaines espèces animales ou plus rarement végétales, de ressembler, temporairement ou de façon permanente, par la couleur ou par la structure, au milieu environnant physique ou biologique, avec une finalité (notamment protectrice ou offensive) ou sans finalité apparente »[13]. Il s’agit d’une démarche toute différente que celle qu’a pratiquée l’industrie depuis la première révolution industrielle. Cette démarche de bio-mimétisme devrait chercher à tirer des enseignements de la nature sans exploiter ses ressources comme nous le faisons aujourd’hui, mais travailler à des échanges mutuellement avantageux pour les cinq règnes du vivant. C’est-à-dire s’inspirer de ceux-ci et découvrir de nouveaux domaines dans la recherche, que se soit dans la robotique, la chimie, la sociologie, la phytosociologie, l’agriculture, l’intelligence artificielle, etc. ; ce qui va de pair avec l’apport en toutes sciences que nous devrions échanger avec la biomasse pour sa sauvegarde et donc la nôtre. Celle du Gabon et sa forêt endémique est un terrain d’expérience extraordinaire qui peut aussi être un exemple de sauvegarde pour toute la planète.

Cette forme d’économie et gestion au service du vivant, capital autrement extraordinaire que financier pourrait alors être un nouveau domaine scientifique rassemblant diverses disciplines allant vers une science commune que l’on nommerait « économie symbiotique ». L’Homme serait formé à cette nouvelle science dès le plus jeune âge. Éminemment culturel et au fait des risques environnementaux, il pourrait alors gérer sa vie et la société autrement, dans un bouleversement et une remise en question permanente pour la sauvegarde de la planète et sa biosphère. Une adaptation des structures de la société serait évidente en ce sens. Il s’agirait de déconstruire les structures de société actuelle et de créer des modules sociétaux et structures matérielles de vie adaptés à cette nouvelle économie. Cette adaptation pourrait passer par une autre réalité que l’on peut nommer : « Ecobiotopie »[14]. Il s’agit alors de structurer la société en cercles concentriques d’économie circulaire qui communiquent entre eux en permanence de façon horizontale tel un réseau neuronal, semblable aux réseaux racinaires des plantes et mycètes qui coopèrent en symbiose dans ces deux règnes. Etc…

L’expertise en question

Pour parvenir à cette gestion symbiotique, il faut innover dans les domaines de l’économique et du vivant, soit : la biomasse. Le choix de l’expertise en sciences et techniques en adéquation avec l’activité rurale, urbaine et la nature est vital pour un véritable développement durable.

Pour autant l’on sait qu’une expertise peut être manipulée par les intérêts matériels ou idéologiques et que les procédures d’expertise sont étendues aujourd’hui à l’ensemble des sociétés. En effet, une entente tacite existe, soit quand deux parties se sont mises d’accord pour donner un avis semblable sur les éléments d’un différend, soit quand ceux-ci présentent des aspects techniques ou sociaux, par exemple dans le cas d’une expertise judiciaire sur des travaux ou en cas d’accident sur la voie publique. Cela peut s’étendre à tous les domaines de la société et à toutes les catégories sociales et économiques. Ces analyses sont faites par des spécialistes mandatés.

Nous sommes donc dans un monde où les experts, prêtres du nouveau paradigme scientifique et industriel où nous sommes, ont les clés de l’advenir de nos sociétés. Dans ce paradigme, ce nouvel eldorado, les consultants s’engouffrent. La place de la politique dans ce jeu d’acteurs semble avoir disparue au nom de l’intangible expertise. Pourtant, des acteurs politiques ont conscience que trop de pouvoir à l’expertise comme aujourd’hui peut être un danger dans la gouvernance.

En effet, l’expertise tend à prendre une nouvelle place en se modifiant par sa remise en question par les experts eux-mêmes. En conséquence, l’enjeu dépasse les clivages, mais également les conflits économiques et guerriers. Consciemment ou inconsciemment : cet enjeu est notre survie à tous. Par exemple, en France, l’évolution du corps des ingénieurs agronomes est intéressante à ce sujet. Socio historiquement, il pourrait se hisser aujourd’hui à des niveaux de propositions et de décisions comme l’a fait et le fait toujours le corps des ingénieurs des mines pour l’industrie ou encore ceux des ponts et chaussées pour le transport.

Ces ingénieurs bousculent les frontières de l’expertise industrielle conventionnelle par leur travail sur le vivant et les connaissances des causes de l’effet de serre étant de plus en plus démocratisées dans les populations, les études doivent être plus pertinentes. En effet, aujourd’hui chaque individu est concerné et il vit les conséquences du changement climatique modifiant son mode de vie.

L’expertise dans ce paradigme pourra-t-elle se démocratiser ou bien disparaître pour laisser la place à une intervention plus démocratique de scientifiques en relation avec des citoyens responsables ? Nous ne le savons pas, mais la précipitation conjuguée des évènements climatiques et des opportunités d’aller vers un nouvel « Eldorado économique », ouvre la voie à ce paradigme plus énergétique et scientifique que technologique, avec une collaboration plus accrue de l’expertise scientifique. La phase qui s’ouvre provient de cet aléatoire induit par les contradictions, les contraintes économiques et sociales et l’émergence dans la production de bien de consommation par la place de pays comme la Chine, l’Inde, le Brésil, les pays d’Afrique dans l’économie mondiale. On assiste ici à une mutation du tissu industriel de ce paradigme global, lequel reste aux mains de l’hyperspécialisation productiviste. L’économie symbiotique pourrait bouleverser ce schéma.

Conclusion

Je terminerai par les mots d’André Raush, professeur émérite d’histoire de Strasbourg : « La forêt est toujours apparue comme un refuge, depuis le début de l’humanité. Le maquis en Europe, pendant la seconde guerre mondiale, et en Amérique du sud encore actuellement, en sont l’illustration. On s’échappe en forêt, mais en même temps on se ressource, on se forge une nouvelle identité. La forêt joue un rôle de régénération. Il y a plus qu’une fuite en forêt, en fuyant en forêt on affirme sa liberté. »[15]

Effectivement la biomasse, la biosphère et la forêt ne font qu’une, alors il nous faut l’aimer et la respecter pour notre sauvegarde et notre liberté car les risques incommensurables sont devant nous. L’humanité est née en Afrique. L’Afrique à plus qu’un rôle à jouer.


[1] Les cinq règnes

  • Règne des Monères (bactéries et algues bleues)
  •  Règne des Protistes (protozoaires et algues unicellulaires)
  •  Règne des Mycètes (champignons)
  •  Règne des Végétaux.
  •  Règne des Animaux.

[2] (Selon Jean-David Rochaix, 28 janvier 2008, Professeur en biologie moléculaire université de Genève, https://www.rts.ch/decouverte/sciences-et-environnement/animaux-et-plantes)

[3] Techniques complexes qui nécessitent, non pas ce qu’on pourrait appeler une technique unitaire mais des techniques affluentes dont l’ensemble, dont la combinaison concoure à un acte technique bien défini. (Gille, 1978, p. 15) Les filières techniques constituent des suites d’ensembles techniques destinés à fournir le produit désiré, dont la fabrication se fait, très souvent, en plusieurs étapes successives. (Ibid. p. 16)

[4] http://www.actu-environnement.com/ae/news/projet_biocoup_6810.php4

[5] https://cordis.europa.eu/news/rcn/124588_en.html

[6]S’entend ici comme un système qui conduit vers un bouquet énergétique futur induit par une rupture plus énergétique et scientifique que technique. Ce système reste un terrain d’essai aléatoire à l’échelle locale et planétaire. Il fait partie des paradigmes qui selon la définition de Thomas Kuhn, sont des «découvertes scientifiques universellement reconnues qui, pour un temps, fournissent à une communauté de chercheurs des problèmes et des solutions.» «Toute étude d’une recherche dirigée par un paradigme, ou aboutissant à l’écroulement d’un paradigme, doit commencer par localiser le ou les groupes responsables.» (Kuhn, 1962, p. 11 et 245)

[7] HealthCast 2020, PricewaterhouseCoopers, http://www.pwc.fr.

[8] Ferone Geneviève, Dominique Debas, Anne-Sophie Genin, 2004, « Ce que le développement durable veut dire » Editions d’organisation, Paris, 325 p.

[9] Ensemble des êtres vivants d’un biotope, d’un milieu donné.

[10] Stefano Mancuso, page 13, la révolution des plantes, Albin Michel, Paris 2019, 225 p.

[11] https://positivr.fr/inde-tribu-khasi-ponts-vivants-arbres-racines/.

[12] CNAM. https://arts-et-metiers.net/musee/biomimetisme-quand-la-nature-inspire-la-technique

[13] http://stella.atilf.fr/Dendien/scripts/tlfiv5/advanced.exe?8;s=1403793105;

[14] L’écobiotopie (lieu de vie économique) est une méthode de conscientisation des individus à la gestion de leur vie (économique, culturelle, biologique et géographique) avec les personnes qu’ils côtoient tous les jours dans leur quartier, villes, villages, entreprises. L’écobiotopie s’adresse d’abord aux personnes qui désirent vivre et partager dans les domaines du social, de l’emploi et de la santé.

Enregistré le 16/11/2003, proposé par Armand Legay Le Havre (5éme festival du mot XYZ (créé par Eric Donfu, Sociologue).

(https://www.yumpu.com/fr/document/read/16731865/voici-la-liste-de-tous-les-mots-nouveaux-en-pdf-comme-une-76)

[15] André Raush, 1996, Vacances en France de 1830 à nos jours, Paris, Hachette

 

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